Née en 1955 à Lyon, j’y ai vécu jusqu’à la fin de mes études universitaires, en philosophie et histoire de l’art.
En 1977 je suis entrée dans un monastère bénédictin, en Savoie, où j’ai passé 18 ans, jusqu’en 1995. C’est là que j’ai commencé mon travail en céramique. Dans cette période, j’ai rencontré Jean Girel qui m’a épaulé un temps, et de qui j’ai beaucoup appris.
Mon apprentissage fût marqué par la solitude et le silence puisque tel était mon choix de vie. J’avançais spontanément et sans doute en partie inconsciemment, vers des formes simples et silencieuses. Cela s’est fait progressivement car il faut du temps, non pour « trouver son style », mais bien au contraire pour le laisser émerger et enfin le reconnaitre, ressentir une connivence, une forme d’intimité, un retour des pièces qui nous révèle quelque chose de nous-même.
Il y a dans le travail artistique, quel qu’il soit, une sorte d’obéissance à la matière. Si l’on approche de cela, un chemin propre se trace.
J’ai découvert peu à peu que la matière induit la forme, et que l’on ne va pas vers le même univers de forme et d’esprit des formes, selon que l’on utilise du grès ou de la porcelaine.
La porcelaine nous parle de lumière, de passage, de précarité, de délicatesse, et pousse à la perfection de la forme, comme pour honorer sa noblesse.
L’émail absorbe ou renvoie la lumière, il surligne ou au contraire adoucit les lignes et les arêtes. Mes recherches en émail sont parfois laborieuses car je n’ai pas d’intuition géologique. Mais j’aime la pierre qui de tout ce que contient la nature me parait le plus éloigné de moi dans sa matérialité. J’aime son silence dense, sa pensée impénétrable, sa mémoire dès la création du monde ; j’aime son opalescence et pour tout dire sa beauté. J’aime l’idée d’une pierre qui, passant par la phase aqueuse vient revêtir mes céramiques d’un nouvel habit minéral.
Le grès, lui, est une histoire de force, de puissance, il fait appel à ce qu’il y a de brut en nous, et cela s’impose dans le travail. Ce n’est pas une question de formes, car elles peuvent être très subtiles, mais c’est la matière elle-même qui vient chercher en nous quelque chose de plus archaïque.
Dès qu’il est question de tournage et d’émaillage, on ne peut s’empêcher de se pencher vers les grands modèles de l’Asie. Je crois qu’il faut assumer sereinement ces influences, et les vivre comme des tremplins, des points d’appui, des lieux où revenir quand on se perd.
Je ne mets pas d’intention dans mon travail. Pas de message. Pas d’affirmation de soi. Il me semble au contraire qu’il faut se tenir en retrait pour donner à chacun la possibilité de s’approprier les œuvres de manière singulière et intime.
Qu’il s’agisse des pièces d’usage ou de pièces de contemplation qui accompagnent plus ou moins nos vies quotidiennes, ces objets font sens et nous laissent moins seuls.
A propos de la forme, le philosophe allemand Walter Benjamin parle de « cristallisation du temps par lequel l’autrefois rencontre le maintenant. » (1)
C’est là une formule magnifique pour décrire ce qu’est une tradition active, dans laquelle j’aime me situer. Je crois à l’enracinement dans l’expérience et le savoir des hommes au cours des siècles. J’aime vivre et travailler dans ce fleuve .
(1) Walter Benjamin. De l’œuvre d’art à l’époque de la reproductibilité. 1936